« La possibilité d’une île », Houellebecq, chronique

PossibilitéIle
Présentation (qui a le mérite d’être courte ^^) :
Qui, parmi vous, mérite la vie éternelle ?

Mon avis (5 étoiles) : Ou comment se faire sucer la conscience par un livre

J’ai acheté ce livre en 2005. A l’époque, il m’était tombé des mains.
Et puis, je suis un fan, j’avais lu tous ses livres auparavant (les particules élémentaires, extension du domaine de la lutte…) et les suivants (la carte et le territoire, soumission) et Houellebecq et ses livres sont devenus comme un vieil ami. J’ai même lu son essai sur Lovecraft et le fantastique (très intéressant) et ses poèmes. Bref Houellebecq est devenu comme un vieil ami dont la présence nous manque quand on a plus rien de nouveau de lui à se mettre sous la dent.
Et donc j’ai repensé à « La possibilité d’une île ». un bon pavé Houellebecquien tout de même qui me tendait les bras. Comme un bon steack en quelque sorte sauf que le plaisir dure plus longtemps.
Et là je l’ai relu avec délectation.
Car en fait, je me suis rendu compte que ce qui me plaisait dans ses œuvres, ce ne sont pas les histoires d’ailleurs assez mince, mais bien l’esprit des narrateurs bon qui se ressemblent un peu tous : décadents, dégénérescents, dépressifs, clairement sur la pente descendante mais qui possèdent une sincérité et une lucidité très attachantes. Ce sont des personnages qui ne craignent pas l’humiliation de se dévoiler. Car avouons-le, à chaque fois des épisodes ou des pensées peu glorieux nous sont dévoilés. Et avec l’âge qui avance, je les sens de plus en plus proches de moi (hum :(). De leur obsessions, les fantasmes sur la jeunesse (et par là-même le regret de notre jeunesse perdue), la vieillesse, etc.
On dit qu’un livre qui n’est pas lu est mort. A l’inverse, un livre lu prend vie. Mais avec Houellebecq et c’est le seul auteur qui me fait cet effet à ce point je pense, c’est pire que ça : littéralement ses narrateurs prennent vie, leurs esprits prennent vie et nous sommes des consciences qui lisent une autre conscience.

Ces narrateurs ont le don de me sucer la conscience ou plutôt de l’envahir, de la modifier, de me faire prendre leur point de vue dans ma conscience disponible. Comme une tasse vide accueille l’eau ou plutôt comme une eau qui se déverse dans une tasse biscornue. Ma conscience étant l’eau qui épouse l’esprit du narrateur.
Il est un fait que pour lire un livre, notre esprit se vide pour accueillir le discours de l’écrivain. Ses pensées prennent place en nous. Et quand je lis houellebecq, je deviens un peu lui même, ou plutôt lui devient moi, même après avoir refermé le bouquin. « Ses pensées je les faisais miennes » comme dit la chanson (Bashung).
Revenons au livre. Les spéculations SF sont assez drôles : par ex qu’on modifie le génome humain pour qu’on puisse faire de la photosynthèse comme les plantes. ^^ L’humanité ici conquiert une sorte d’immortalité grâce à la conservation de l’ADN des individus, au stockage des mémoires individuelles, et aux possibilités de clonage.
Non ce qui est particulièrement intéressant, c’est que Houllebecq décrit des néohumains dont l’esprit justement a totalement évolué pour arriver à une sorte de sérénité bouddhiste complètement désincarnée voire dématérialisée.
Nous sommes donc confronté à la première incarnation de Daniel, « Daniel1 », un homme comme vous et moi, avec ses turpitudes bien connues. Daniel1 couche par écrit son récit de vie. C’est ce récit que  nous lisons. Nous ne sommes pas en prise direct en quelques sortes avec la conscience du narrateur.

C’est une conscience retranscrite.

Ce récit de vie constituera la base mémorielle de tous les successeurs de Daniel1. C’est donc un narrateur qui s’écrit.

Peut-être un peu comme notre conscience qui réarrange les faits pour en faire un récit, forcément plus ou moins proche d’une certaine vérité.

Mis en parallèle avec ses successeurs comme Daniel23 (23ième incarnation). Cette sérénité bouddhiste donne une narration totalement différente en terme d’appréciation du temps, de l’abolition des désirs et des névroses, des considérations sur la finitude de l’existence (évidemment puisque l’humanité atteint une forme d’immortalité à travers les clonages successifs).
Ici la possibilité d’une île est l’amour. Daniel le rencontrera bien, un amour inconditionnel mais loin de ce qu’on peut imaginer a priori mais qui confirme l’absurde de cet écrivain qui ose tout écrire. ^^

Je terminerai par une sentence du bouddha qui vient parfaitement en écho avec le titre du livre :

« Lorsque les vagues, les redoutables vagues s’élèvent, où, ceux qui sont enveloppés par les eaux, accablés par la vieillesse et la mort, trouvent-ils une île ? Voilà ce que je t’enseigne, ô Kappa. »
« Là où il n’y a rien, où il n’y a aucun attachement, l’île, l’unique : c’est elle que j’appelle le Nirvana, la fin de la vieillesse et de la mort. »
« Plongés dans la méditation, les inébranlables qui luttent vaillamment sans relâche atteignent le Nirvana, eux, les sages, le gain qui surpasse tous les gains. »

Pour vous le procurer (je vous conseille l’édition fayard qu’on trouve d’occasion car la couverture est une création de notre écrivain) :
La possibilité d’une île

A propos Jean-Baptiste Messier

J'ai toujours été guidé par l’idée de produire des textes originaux, provocateurs voire transgressifs. La littérature érotique est mon domaine de prédilection même si j'aime parfois composer des cocktails avec le fantastique, la SF ou la fantasy. J'écris aussi des chroniques sur des livres très divers et évoque parfois des sujets assez polémiques ou spirituels. A découvrir. ;)
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11 commentaires pour « La possibilité d’une île », Houellebecq, chronique

  1. Mizof dit :

    Merci pour cette étrange chronique. Il semble toutefois que Houellebecq ne soit pas votre tasse de thé.

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  2. Je suis également une grande lectrice de Houellebecq et La possibilité d’une île est celui qui m’a le moins plu. Trop flou, on met beaucoup trop de pages avant de comprendre qui sont ces Daniel### qui entrecoupent le récit de la vie de Daniel1. Mais je partage votre ressenti de lecteur sur H. en général et ses narrateurs. Et puis citer « La nuit je mens », pas mal !!

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    • Bonjour Tomtom,
      On peut se tutoyer ? ça me fait drôle de vouvoyer une tomate ;-).
      En fait, c’est vrai qu’on pourrait dire que niveau construction, il est moins structuré que « extension du domaine de la lutte » ou « les particules élémentaires »… Mais justement, n’est-ce pas parce que l’écrivain se permet une liberté, une créativité réjouissante ?
      Par ailleurs, niveau style, je pense qu’il est plus fort que les deux que je viens de citer… Mais c’est un roman très déstabilisant par sa construction, assez unique ^^. Très biscornu

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      • Si on comprend rien (et ca a été mon cas pendant longtemps), ce n’est pas réjouissant lol. Et heureusement que les livres qui ont suivi ont été meilleurs, même si mon préféré est un vieux (Les particules élémentaires). Quant au style, je l’ai trouvé meilleur dans La carte et le territoire (aussi l’un de ses meilleurs).

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  3. Ah oui Bashung… ses paroliers quel talent ! Bashung les inspirait 🙂

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