La rage du rat « je »

Troisième début : 

Un verre à la main, ne sachant plus si je danse ou titube,
je me sens étrange. Pour dire vrai, le monde entier me semble étrange. Comme si
d’une certaine manière, quelque chose d’énorme et d’incompréhensible m’entoure
et que je n’arrive pas à mettre le doigt dessus. Bien sûr, beaucoup plus
frustre est mon impression… mais avec quelle force obscure je la ressens !

Je dévisage les personnes présentes avec une intensité qui n’est
pas sans les gêner. Je me dandine d’avant en arrière.

Soudain, un grand trou m’aspire. Comme le point
mathématique, je me sens détaché du temps, ne sachant plus qui je suis, ni
pourquoi je suis là. D’une façon abstraite, sans épaisseur, j’existe, mais à la
dimension zéro de la personnalité !

Le plus terrifiant est que cette sensation veut s’imposer à
moi comme une vérité définitive ! Je lutte désespérément contre cette
vision terrible et anéantissante… mais le pape qui me regarde avec componction
m’assure que tout va bien aller ! Sans doute, est il un peu gâteux,
pensé-je irrévérencieusement.

Soudain le grand lustre avec ses chérubins dorés et bien
astiqués tombe et écrabouille la jolie blonde qui m’a aguiché… ce n’est pas
sans intérêts que je regarde gicler les cocardes tricolores de la tête broyée.

Tous les invités sourient d’un air extatique, semblant
apprécier la cérémonie. Le Pape, quant à lui, ne semble pas en grande forme. Son
visage se décompose littéralement en timbres au tarif en vigueur…

Une main me rudoie l’épaule droite, en même temps qu’une
voix me crie dans l’oreille gauche :

« Pierrot, Pierrot, tu vas arrêter de bouger, merde !
Je veux dormir, moi ! »

Epouvanté, je reconnais la blonde et me réveille ! 

Complètement désorienté, je ne réalise pas où je suis. Je reconnais
avec soulagement les formes flasques de ma femme, qui tressautent d’indignation.
Je repousse avec force la poitrine envahissante, qui dans une ultime tentative
essaye de m’étouffer. Je lui tourne le dos et pète.

Cependant l’angoisse persiste en moi. Etendu dans le noir,
subissant les ronflements de ma femme, je suis assailli de pensées mauvaises. Des
formes noires jaillissent dans la pénombre grise. Dans le faible espoir d’échapper
au maléfice, je ferme les yeux. Je tâtonne avec précipitation les draps pour
enfin trouver les fesses énormes de ma femme. Je les empoigne avant de m’y encastrer. Ma
femme gémit en un long sifflement de bouilloire mal embouchée. A travers le
tissu, je sens sa chaleur moite et molle. Avec un grognement de satisfaction,
je sens poindre l’érection. Libéré de mes craintes, je m’endors.

Dans un de mes accès de tendresse, qui n’est pas sans
laisser des traces de bave, je me rends compte que j’effraye ma femme ces
jours-ci. Sans doute, je suis devenu un trou noir vaste et béant, où l’on
aurait vainement cherché une trace d’humanité.

Aussi, quand, traversant la place du village, un chien noir
vient japper autour de moi, je prends un malin plaisir à lui briser l’échine de
mes poings énormes. Les plaintes du chien, au début nourries, se font
intermittentes, mais atteignent un crescendo difficilement imaginable.

Enervé, je sors du bar et lui écrase la gueule.

A propos Jean-Baptiste Messier

J'ai toujours été guidé par l’idée de produire des textes originaux, provocateurs voire transgressifs. La littérature érotique est mon domaine de prédilection même si j'aime parfois composer des cocktails avec le fantastique, la SF ou la fantasy. J'écris aussi des chroniques sur des livres très divers et évoque parfois des sujets assez polémiques ou spirituels. A découvrir. ;)
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5 commentaires pour La rage du rat « je »

  1. Patricia dit :

    la quatrième dimension entre humour cynique et noirceur de l\’âme… très bel épisode qu\’il valait le coup d\’attendre… avec beaucoup de patience !!! meilleurs voeux pour toi et ton épouse, avec beaucoup de réussite dans vos projets ! bz

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  2. Jean-Baptiste dit :

    merci Patou, parfois je me découvre un univers sombre dans mon âme !!! pas toi ? 😉

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  3. Patricia dit :

    je pense qu\’on a tous quelque part en nous une part très sombre qui vient équilibrer ce qu\’on considère comme une "bonne âme", une espèce de Yin/yang qui nous balance d\’une part à l\’autre, notre conscience d\’animal évolué tendant à pousser l\’effort du bon côté… le jour la nuit, recto verso, tant que chacun circule librement dans les quartiers qui lui sont impartis et que rien ne nuit à autrui, alors pour réfuter cette part sombre ? je me découvre parfois l\’âme coquine alors que je suis plutôt… sage ! alors quelle est la part de fantasme de l\’impossible à réaliser ou de l\’impensable à mettre en oeuvre ? en tout cas, n\’ayant pas la même capacité que toi à décortiquer l\’être humain (capacité naturelle ou aidée de tes cours ?), je ne peux que saluer et apprécier ta façon de le faire… artistiquement ! bz bz bz !

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  4. Jean-Baptiste dit :

    mais la part coquine est elle une part sombre ??

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  5. Patricia dit :

    heu… c\’est toi le psychologue de nous deux !!!!

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