VIII
21 septembre 1989.
Le milieu l’avait contacté. Il devait tuer une héritière de 23 ans. Pour le motiver, on lui avait dit que les parents de l’héritière, déjà tués, étaient ceux là-mêmes qui avaitent commandité les assassinats de ses parents et de sa sœur.
Seulement, il approchait de la limite de Dino. Assis sur un banc, dans Central Pak, il regardait les feuilles des chênes tomber. Son âme avait les couleurs de l’automne. Ce serait son dernier contrat. Boucler la boucle, entamée, il y a 30 ans.
Le milieu lui avait dit de s’introduire auprès de Mllle Peterson en tant que garde du corps et ensuite de maquiller son crime.
Il allait jouer la comédie jusqu’au bout. Ce ne fut pas sans émotions qu’il revit Détroit. La crise de l’industrie automobile avait frappé de plein fouet la ville. Les immeubles déserts s’alignaient dans le centre ville. Détroit,ville morte.
Lisa Peterson habitait à l’extérieur de la ville, dans la banlieue aisée. Un mur entourait la villa, uniquement interrompue par un portail en fer forgé. Kemper appuya sur le bouton de l’interphone.
« Oui ?
voix jeune et réservée.
– Mark Tracy.
– Entrez. »
Neutre.
Lisa Peterson était une belle jeune femme, les cheveux longs chatains, des yeux jaunes-bruns, et un visage racé. « Elle est bien roulée sous tous les rapports » pensa Kemper.
« des amis de mes rapports n’ont pas tari d’éloges sur votre compte » lui dit Lisa Peterson en lui tendant un verre de bourbon. Tranquillement assis sur un canapé en cuir qui faisait face à une cheminée, Kemper n’eut pas à maîtriser un début de sourire.
« j’ai une longue carrière derrière moi. J’ai fait quelques erreurs.
– des amis me considèrent actuellement comme menacée physiquement par des personnes ayant des projets immobiliers. Mes possessions ou plutôt l’héritage de mes parents les contrarieraient, dit elle froidement.
– Je suis au courant.
– Votre contrat débute aujourd’hui et s’achèvera, Dieu sait quand. »
Kemper ne dit rien.
Leur cohabitation ne fut pas tout de suite facile. Cependant, la présence discrète, voire très réservée de Kemper facilitait la vie à Lisa Peterson, encore mal remise de la mort violente de ses parents. Une certaine entente s’établit entre eux. Il ne savait pas encore de quelle façon il allait agir. Il ne disposait pas d’un temps infini devant lui.
Un soir, environ deux semaines après l’arrivée de Kemper, elle organisa une petite réception.
« il me faut maintenir les relations. » disait-elle.
Kemper, dans l’encoignure de la porte de la cuisine, observait Lisa et ses invités. Le traiteur, derrière lui, s’affairait. Tous étaient très bien mis de leur personne. Ils échangeaient des plaisanteries de bon aloi, faisaient de l’esprit. Peter, un des invités, faisait gentiment du plat à Lisa, qui souriait.
Ils tenaient bien leur rôle. « comédie qui doit leur bouffer la vie » pensait Kemper. A ce point de ses réflexions, Lisa lui lança un regard qui en disait long.
« leur argent, leur éducation, les enfermaient dans la solitude plus sûrement qu’aucune prison. » Sa solitude, il l’avait choisie ; eux la subissait.
La soirée tirait à sa fin. Lisa disait bonsoir à un dernier couple qui la remercia pour sa « si gentille soirée ».
Lisa ferma la porte puis se dirigea vers Kemper.
« Si on se mettait de la musique ? »
Sans attendre sa réponse, elle se dirigea vers la chaîne HI-FI.
« David Bowie, vous aimez ?
– je ne connais pas. »
il trouva les premières chansons bruyantes. Lisa s’était assise dans le canapé, les jambes repliées sous ses fesses. Il lui versa un martini. Il devinait sa lassitude. Il la trouvait belle, ainsi dans sa robe bleue-marine, échancrée sur les épaules.
« pourquoi vous parlez si peu ?, demanda t’elle.
– sans doute que je n’ai pas grand-chose à dire.
– Je ne vous crois pas… cela sa voit dans votre regard… j’ai l’impression que nous pourrions être proche. »
Il laissa filer la phrase. Il écoutait David Bowie, au piano, qui chantait :
« what ever lays behind the door,
there’s nothing much to do…
Angel or devil, I don’t care.
For front of that door,
There’s you.”
Il reprit :
“Parfois, il existe des obstacles créés par les circonstances, les gènes… le passé, qui sont insurmontables.
– je ne vous comprends pas. »
Il la regarda. Elle caressa son verre et dit :
« vous ne croyez pas… il existe des choses contre lesquelles on ne peut lutter, qui anéantissent… les obstacles. »
Une dizaine de jours après, elle eut envie de changer d’air. Ses parents lui avaient laissé en héritage, un chalet au bord du lac Huron, dans la région des Grands Lacs. Il se dit que l’occasion allait bientôt se présenter. Arrivés le matin, ils firent une promenade l’après-midi. Tout au long de la promenade, des épiceas immenses les dominaient, certains vieux de plusieurs siècles. Pour la première fois, il la vit vraiment détendue.
Le soir, il fit un feu de cheminée. Lisa était assise dans un fauteuil en osier. Des peaux de cerf tapissaient le plancher et les murs du chalet. Il était installé de trois quart par rapport à elle, légèrement en retrait.
Il dégustait un cointreau, et regardait les flammes s’agiter.
« A quoi pensez-vous ?
– Mu
– Comment ? dit elle avec un froncement de sourcil.
– Mu. Rien en sanskrit. C’est un terme bouddhiste. C’est un « rien » au-delà des phénomènes et au-delà du vide. Un « rien » au-delà de tout. La non-signification.
– C’est votre idée ?
– Peut-être. »
Lisa, qui s’était mise en short pour être plus à l’aise, croisa les jambes.
« le son « mu », en français, peut avoir plusieurs sens. Un objet est « mû » parce qu’il est soumis à des lois physiques…
mais ce son peut aussi désigner une transformation, une mue. »
il écoutait. Au fond, il avait souhaité l’entendre dire ça. Le sentiment était là. Comment le désigner, sinon par le lien qui unit le père à la fille ?
elle reprit après une pause :
« Mu, c’est aussi le nom d’un continent oublié. »
Tout cela, il le savait déjà. Une pause. Le feu qui crépite. Lisa se retourne légèrement. Ils se regardent.
Kemper ne laisserait pas parler l’amour. Il traiterait ce sentiment, comme tous les autres jusqu’ici, en l’étouffant.
j\’adore avec une musique relaxante lire de bons texte continue merci pour ce moment de plenitude
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