III
Il faisait nuit blanche étoilée. L’air embaumait l’odeur
sirupeuse des orchidées barbues. La poitrine d’Elvira se soulevait doucement. A
quelques pas, Isidore, allongé sur le ventre, la bouche contre la terre,
dormait. Les paupières d’Elvira frémirent. Elle se tourna vers le côté et
aperçut Isidore. Elle se leva maladroitement. Elle contempla sa combinaison
déchirée et tâchée. Elle se dévêtit rapidement et puisa de l’eau dans une flaque.
Isidore grogna, se roula sur le sol, et resta immobile
quelques instants. Avec efforts, il se redressa. Il ne leur restait plus qu’une
vie, ensuite venait le GAME OVER.
« Putain, Elvira, il faut se barrer illico presto… tu
m’entends ? » dit-il avec une volonté farouche.
« je fais mes ablutions… d’accord, j’arrive. »
répondit-elle en s’habillant avec répugnance.
Ils s’éloignèrent rapidement de ce champ d’horreur. Epuisés,
ils s’écroulèrent bientôt au milieu de champignons qui formaient un rond de
fées. Elvira fit le petit-déjeuner et l’agrémenta des champignons appétissants.
Isidore mangea sans faire de commentaires. Elvira, toute à son plaisir, ne s’en
formalisa pas. Ils répartirent, la tête vide, le ventre plein.
Au loin se dressait un château avec des tours étincelantes
de blancheur. Elvira écarquilla les yeux. Elle se tourna vers Isidore pour
observer sa réaction, mais celui-ci avait disparu. Elle s’avança sur le chemin
tapissé de fleurs multicolores, qu’elle écrasait de ses pieds menus.
On entrait dans ce château par une sorte de porte en bois,
sculptée de formes sinueuses et entrelacées. Elle poussa la porte. La pièce,
sans fenêtres, était nimbée d’une lumière saumonée. Une femme, vêtue de jute
grossière et d’une coiffe blanche, s’approche d’elle avec de gros sabots, et la
prit par le bras.
Docile ou somnambule, Elvira la suivit à travers un couloir
orné de tableaux. Ils représentaient des courbes multiples et insaisissables.
Elles entrèrent dans une pièce, embrumée par les vapeurs qui s’élevaient d’un
bassin.
Les mains calleuses de la femme touchèrent son dos pour
enlever sa combinaison. La marâtre prit par la main, Elvira nue, et lui indiqua
de s’allonger dans l’eau limpide.
Elvira s’étendit et laissa le bien-être l’envahir.
Elle resta, ainsi, les yeux fermés. La femme était partie.
Et l’air sentait bon la lavande chaude.
Des mains douces et fines lui effleurèrent l’épaule. Elvira
ouvrit les yeux et vit un visage grâcieux, penché au-dessus d’elle. Un sourire
était posé sur ses lèvres aguicheuses. Elle était vêtue d’une robe de tulle
fine, toute en transparence. Elle se redressa et, dans cette ambiance
fantasmagorique, Elvira la vit enlever sa robe, et ne garder qu’une tunique
courte, charmante, qui dévoilait de belles jambes fuselées. Les pieds nus, elle
entra dans l’eau et fit s’asseoir Elvira. Elle prit une éponge et commença de
la baigna. Toute à sa langueur, elle appuya son dos sur les rondeurs fermes de
sa poitrine. Elle laissait l’impression délicieuse enfler et se prolonger. Elle
reposa sa tête sur son épaule et l’appuya sur sa joue. Elle embrassa son cou.
Un cocon de sensualité les engourdit et les engloutit. Elles se levèrent.
Un immense miroir composait l’un des côtés de ce bain turc.
Des robes de satin rouge s’étalaient en plis renouvelés. Elle lui défit sa
tunique mouillée et l’essuya. Son souffle chaud courrait le long de son dos et
de ses cuisses. Elles étaient belles et se regardaient dans le miroir. Le
miroir n’arrivait pas à se décider. Il se taisait indéfiniment.
Elles étaient belles et leur robe leur allait à ravir. Elle
se tenait derrière Elvira et lui dénoua la ceinture. Les yeux mi-clos, elle
suivit sa progression. La robe lui tomba sur les hanches comme une corolle en
suspens. Elle lui embrassa le nombril, le ventre, remonta doucement vers les
seins. Ses lèvres en vinrent à épouser ses lèvres. Prise d’un sursaut tragique
et incompréhensible, Elvira vira et se retrouva….
Isidore scrutait du regard ce bâtiment qui tenait du
monastère ou de l’académie, ou des deux. Il s’avança sur le chemin pavé de…
pierres. Ses chaussures martelaient son passage. Il frappa la porte avec force.
Des pas précipités se firent entendre. Un gnôme chauve ouvrit la porte et lui
adressa un regard furtif. Isidore s’apprêtait à parler, le gnôme lui enjoignit
par un geste de se taire, tout en coulant un regard inquiet derrière lui.
Curieusement, ce temple qui semblait grand de l’extérieur,
contenait qu’une pièce sans fenêtre, Isidore ne voyant d’autre porte que celle
par laquelle il était entré. Plus étrange encore, la pièce était de taille
raisonnable, ce que ne laissait pas supposer les dimensions du monastère. Sur
des tables étaient étalées des cartes décrivant des contrées ignorées, ouverts
des grimoires aux idéogrammes incompréhensibles.
Un vieux bonhomme, rasé de près, le dévisageait de ses yeux
taquins, et l’invita à s’asseoir en face de son pupitre, jonché de manuscrits.
« Ce bâtiment est à notre image, une petite conscience
entourée de vastes ténèbres… » commença t’il et acheva t’il tout aussi
vite, en voyant l’air dérouté d’Isidore.
« Mais, balaya t’il d’un geste vif, peut-être cela vous
ennuie t’il ?
–
Mais pas du tout, M’sieur, répondit Isidore,
d’ailleurs je recherche le Graal.
–
Ah le Graal… longtemps, j’ai cherché… mais
pourquoi le cherchez vous ?
–
– Ben le Graal, c’est le Graal. »
Isidore s’interrompit un instant, et murmura en se
penchant :
« vous savez, on dit qu’il rend immortel…
–
certes ; mais peut-être, rend il aussi
malheureux. En tous cas je ne peux vous offrir que la connaissance.
–
La connaissance… pour quoi faire ? je ne
veux qu’une chose, vous savez, ne plus avoir peur… »
Le vieillard sourit de ses yeux maintenant froids.
« Je ne peux malheureusement rien pour vous.
Désolé. »
Le gnôme vint tirer Isidore par la manche, qui se laissa
traîner jusqu’à la porte. Isidore opened the door et se retrouva…