IV
Dans la boue, ils se réveillèrent. Elvira regarda autour d’elle
éperdument, quêtant un mirage évanoui. Isidore restait, prostré, perdu dans ses
pensées. La jungle était toujours là, seulement, maintenant, l’oppression était
en eux. Et la digue menaçait d’éclater. Elvira se rapprocha d’Isidore, qui la
prit dans ses bras. Ils étaient tous les deux, seuls, il faisait beau… Isidore
puait des pieds.
Il restèrent assis, longtemps. Ils s’éloignèrent enfin du
rond de fées. La jungle n’était plus un obstacle, ils avançaients comme des
automates, des machines. Ils marchèrent et arrivèrent au bord du désert. Les dunes
de sable s’étendaient à perte de vue, comme autant d’écailles de dragon. Un vent
chaud soulevait des gerbes de sable en tourbillons incandescents. Elvira et
Isidore contemplaient ce spectacle féerique.
Ils établirent le campement dans un des replis de cette peau
rugueuse. Etendus autour du feu, la voûte céleste au dessus d’eux, des portes s’ouvraient
à leurs yeux.
Vidés de tout désir, délivrés de toute agression, peut-être
étaient ils libres ?
Ils dormirent, et ils ressemblaient à des anges.
Leur vie était dure, ils marchaient longtemps, et le soleil
les frappait sans relâche mais… ils étaient heureux de sentir la chaleur du
dragon.
Qu’importait qu’ils souffrissent si l’éternité leur était
promise ?
Isidore ne réclamait plus son poivre à chaque repas.
D’ailleurs, ils n’en avaient plus. leur vie était rythmée,
les pas succédaient aux pas, pierre à pierre, un édifice moral se bâtissait. Ils
avaient quitté leur combinaison et cheminaient, recouverts de leur seul
chargement de nourriture lyophilisée.
Ils étaient prêts.
La tempête de sable survint, le souffle du dragon agissait. Suffoquant,
ils abandonnèrent leur chargement et virent… une pyramide, évidemment. Elle
était toute petite, et devait mesurer 4 coudées tout au plus. il y avait une
entrée mais pas de porte. Ils se réfugièrent et trouvèrent un puit, et une
coupe avec laquelle ils purent se désaltérer. Isidore crut réaliser, et s’écria :
« Nom de Zeus, Elvira, on a trouvé le Graal, on est
immortel ! »
il gambada comme un jeune cabri, dans la pièce. Elvira,
quant à elle, hochait la tête et ne pouvait le croire. Quand Isidore eût finit
de s’agiter, elle remarqua :
« si on était devenu immortel, on aurait dû remarquer q’q
chose…
–
mais… j’explose de joie ! je suis immortel,
c’est pas un changement ? »
Elvira opinait de la tête, toujours pas convaincue par l’impétuosité
de son compagnon. Elle finit par s’asseoir dans un coin.
« moi, je sens rien… »
Isidore, interloqué par le doute d’Elvira s’arrêta.
« M’enfi, c’est évident…
–
et d’abord, qu’est qui le prouve que t’es
immortel ? hein ? Qu’est ce qui te le dit ? si on était devenu
immortel, ça se saurait !
–
la coupe, la coupe, qu’est ce que t’en fais ?
–
y a une coupe… pour boire ! Mais le Graal ?
si t’es si sûr de toi, tue-toi ! »
Isidore, mis au défi, hésitait. Il
regarda autour de lui, chercha un signe, mais point. Il essaya de trouver la
force en lui, mais point. Il ramassa une pierre, la tint à bout de bras, et la
regarda. Voulait il se fendre le crâne ?
Elvira ne s’inquiétait pas outre
mesure, connaissant déjà l’issue du combat. La joie retombée comme un soufflet,
Isidore reposa la pierre.
La pierre, cette énigme !
La tempête était passée. Seul un
immense vide inconsistant restait.
Isidore se prit la tête. Elvira
attendait tranquillement. Isidore respirait difficilement, il sanglotait. Elle s’assit
près de lui et lui caressa les cheveux. Ils attendirent que le temps passe. Mais
le temps n’attend pas. Ils se réveillèrent, dans la nuit, dans la jungle, au
milieu du rond de fées, qu’ils n’avaient jamais quitté. Elvira et Isidore
clignotaient comme de ridicules lucioles. Isidore éclata
« Pourquoi t’as mis ces
saletés de champignons ?! »
Mais Elvira n’écouta plus, sûre
de son fait, de sa mort toute proche. Isidore s’effondra. Elvira attendait sans
crainte, calme (joyeuse ?). Mais la mort n’attend pas. UN. ZERO.