V
Sur le mur était accroché une reproduction. Le coup de
pinceau était vif, brillant. Une jeune femme lit, toute accaparée par un livre.
La liseuse de Fragonard. Dans la chambre se trouvait aussi de nombreuses
étagères où s’empilaient pêle-mêle des romans, des manuels d’informatique…
Un garçon et une fille, silencieux, leur tête recouverte par
un drôle d’appareil. Electronique. Plongés dans un autre monde. Le garçon, le
premier, décide de retirer son simulateur. Il est brun, les yeux marrons, la
taille moyenne. Il regarde la fille, Julie. Elle a les cheveux longs châtains,
rejetés dans le dos. Assez grande pour une fille. Elle enlève son simulateur et
le pose sur la table. Elle jette un coup d’œil à Dieudonné qui guette sa
réaction. Expression tendue sur le visage.
« tu m’avais parlé d’une nouvelle forme de création, je
ne m’attendais pas à…. ça. »
Il attend qu’elle poursuive.
« des choses m’ont surprise… choqué… intriguée… je ne
comprends pas. »
Un sourire flotte sur les lèvres de Dieudonné.
« Qu’est ce qui t’a touché comme ça ?
–
…, Isidore et Elvira, je veux dire, d’une
certaine façon, ils existent ?
–
à ton avis ? Ils n’ont ni chair, ni sang…
–
oui, mais ce n’est pas comme dans un livre où l’histoire
est déterminée, tu ne savais pas ce qui allait leur arriver précisément ?
–
hmmm… oui. J’ai créé des personnages avec
certaines caractéristiques, une sorte de moteur inconscient, des situations
multiples aussi. Mais à l’intérieur de ces limites, l’enchaînement des
situations dépend d’eux. En quelque sorte, je leur ai donné la liberté… j’ai
introduis certaines lois, comme le fait qu’ils aient plusieurs vies… j’ai créé
un monde… virtuel. »
Julie fixait des yeux le disque où se trouvaient programmés
Elvira, Isidore, tout un monde… elle finit par lâcher :
« Ca ne te gêne pas qu’ils meurent ?
–
C’est notre destin à tous… mais es tu sûre de
savoir ce que veut dire mourir ?…
Il se passa la main dans les cheveux. Julie se tourna vers
lui
« la possibilité de trouver le Graal existe-t-elle ?
–
(silence) le Graal, tel que tu l’entends, n’existe
pas. La plus grande des illusions…
–
Tu n’es qu’un sadique !
Dieudonné blémit.
« Julie, tout cela n’est pas la Réalité…
–
ceci, comme tu dis, ne tient qu’à une différence
de degrés. La différence étant qu’ils sont faits d’impulsions électriques. Pourquoi
leur monde serait moins réel que le notre ?! »
Elle partit en claquant la porte.
Dieudonné soupira et ajouta pour lui-même :
« Mieux, pourquoi Ton monde serait il plus réel que le
leur ?… ceci, invoqua-t’il, sera ton premier jour. »