VI
Julie était furieuse et dévala l’escalier. Elle n’arrivait
pas à préciser ses impressions, ni ses sentiments. Elle sentait simplement qu’elle
était…. Hors d’elle. Bien sûr, elle ne pensait pas réellement qu’Elvira et
Isidore fussent réels. Alors, quoi ?
Certaines scènes auraient dû la faire sourire ou la choquer
mais en fait, elle avait accepté comme si… décidément ça ne voulait pas venir.
Elle sauta sur son aéroglisseur et regagna rapidement sa maison. Elle adressa
un bref regard à ses parents, qui regardaient l’holotélévision et monta dans sa
chambre.
Enervée, elle se débarrassa de ses chaussures, s’allongea
sur son lit, mais ne parvint pas à se détendre. Elle regarda ses babioles, ses
livres, la photo de son chat. En désespoir de cause, elle écouta la cinquième
symphonie de Beethoven et saisit un livre que Dieudonné lui avait prêté, mais
qu’elle n’avait pas commencé : le Dieu venu du Centaure, de Philip Kindred
Dick. Sur la page de garde, annotation de Dieudonné :
« misère de l’homme sans Dieu. Et inversement. »
Décidément il ne la lâchait pas ! De rage, elle jeta le
livre. Sa mère l’appela pour qu’elle vienne manger.
« Alors, t’as passé une bonne après-midi, chez
Dieudonné ?
–
oh, tu sais, il est toujours aussi drôle… »
Sa mère acquiesça, se méprenant sur le sens de sa phrase. Son
père ne disait rien, ce n’était pas le grand amour entre eux deux. Son frère
comprit que pour elle cette phrase avait un autre sens mais ne dit mot. Ils s’entendaient
bien.
Après manger, elle alla voir un vieux dessin animé avec des amis, « la
Belle et le Clochard ». Ils lui proposèrent de boire un verre mais elle
refusa. Depuis quelques temps, elle étouffait, envie de changer de lieux, de
peau. Elle sentait avec acuité les bouleversements qui se produisaient en elle.
Comme aurait dit Dieudonné : « Avant y a la tignasse, après le
chignon, entre les deux le shampoing. » L’adolescence, un shampoing ?
Malgré elle, elle sourit.
Elle rentra chez elle, à pied. Elle n’avait pas envie de
dormir, elle alluma l’holovision. C’était un vieux film en noir et blanc :
Frankenstein, évidemment ! Elle éteignit l’appareil. Elle se glissa dans
son lit. Dans sa tête, les idées dansaient des sarabandes endiablées. Elle pensa
à Dieudonné et sentit monter un curieux sentiment de reconnaissance.
Elle allait partir. La fin de l’année approchait. Elle s’était
concertée avec ses parents. Son père n’avait pas refusé qu’elle parte, pour
suivre ses études ! c’était avec plaisir qu’elle sentait venir le
changement. Tout un monde de nouvelles possibilités s’offrait à elle. Liberté,
liberté chérie !!