Roméo
Roméo était assis en fleur de lotus sur son nénuphar. Des hauts-parleurs diffusaient une musique sirupeuse, accompagnée de coâssements de grenouille. Embrumé dans les vapeurs d’encens et d’opium, contemplant la croix, il planait à dix mille lieux au-dessus des contingences terrestres. Son être éthéré s’étirait à en perdre toute mesure. La mort, en cet instant, ne lui faisait plus peur, et c’est avec une sérénité illusoire qu’il envisageait son destin proche.
Les lasers stroboscopiques découpaient sa silhouette immobile, vêtue d’un kimono rouge avec des petits dragons verts. Il sétait réfugié dans la secte du bazard (« la secte du bas, la secte du hasard, la secte du hard, venez rejoindre la secte du bazard ! »). Attiré par les enseignes multicolores, désireux de trouver en lui la flamme éternelle, Roméo avait voulu se rassurer sur son avenir mortel.
Et il avait réussi ! Plein d’un calme qui s’appuyait sur un vide réel, plein de certitudes qui s’appuyaient sur des évidences trompeuses, Roméo était en paix. Roméo était à côté de la plaque. Roméo prenait des vessies pour des lanternes. La voix du commodore des bazartistes emplit la pièce enfumée : « Avant d’entrer ici, dans ce creuset de la pensée occidentale et orientale, vous avez payé (3000 slovos) et en sortant d’ici, vous paierez plus encore… puisque vous ferez le sacrifice de votre vie tard ou… tôt. Et c’est normal. Entre temps, vous aurez découvert la vérité, que vous n’avez rien à perdre ici-bas, que vous êtes libre… de vivre comme de mourir… pas la moindre différence… pas le moindre doute… pas le moindre trouble ne vous agite à cette idée. Riche comme pauvre… pas la moindre différence… Libre, vous dis-je ! Et c’est pourquoi… avant de partir… pour montrer que vous avez atteint le nirvana, que vous êtes libérés de tout désir bassement matériel… vous nous donnerez toute votre fortune… et ce sera bien, vous serez heureux, vous serez un homme. »
La voix du commodore s’éteignit.
Roméo sourit de béatitude et de gratitude. Coââââ^ ! (ne)