Al-Kemiya
Art chim-air-ique.
La voie du cœur est simple voire un peu bête.
I
« Bonjour mon beau doux sire. »
Je soulevais mes paupières. Eleonore tirait les rideaux damassés rouges, d’un geste gracieux. La chambre s’illumina. Sa chevelure d’or ruisselait sur ses épaules dénudées. Elle se retourna vers moi et me sourit.
« Beau doux sire, il va falloir bientôt occire ! » dit-elle avec un rire mélodieux.
« – Certes ils vont connaître mon ire et me maudire !… tous ces manants qui ne méritent pas votre main ! »
D’un geste brusque, je soulevai les draps et m’assis sur le bord du lit. Elle étouffa un cri et se détourna croyant que j’étais nu. Je ris intérieurement.
« Ma mie, de grâce, retournez-vous, et vous ne verrez qu’un séduisant jeune homme… vêtu d’une tunique ! »
Les joues rosies, elle me dit :
« Vous m’avez manqué de respect !
– que nenni, je vous aime, c’est différent. »
Il était vrai que j’avais manqué de la retenue qui sied à tout bon serviteur…. Mais ce n’était que le reflet d’un doute qui me gagnait depuis quelques temps. Tout ce formalisme, cette théâtralité finissait par m’excéder.
Je me levai et la rejoignis près de la fenêtre. Nous passâmes sur le balcon. Du haut de la tour blanche où nous nous trouvions, nous contemplions la vallée, où nous entendions la vie reprendre. Des hommes, des femmes, des paysans, chantaient, s’interpellaient. C’était le temps de la moisson. Le blé mur, les champs ruisselaient d’or. Les oiseaux dans le vert feuillage des arbres, participaient à ce remue-ménage collectif. Nous contemplâmes le soleil et la lune, qui illuminaient la vallée. Frère et sœur dans un même ordre cosmique.
Je l’écoutais respirer à côté de moi. J’aurais tellement voulu l’étreindre ! Comme unis par la même pensée, la même émotion, nous nous tournâmes l’un vers l’autre. Le frère et la sœur de cœur. N’étais-je pas trop impudent en courtisant la fille du Seigneur ?
En voulant être l’amant terrestre de l’Amante Céleste ?
Son regard d’infini amour me chavire.
« Il faut vous habiller mon seigneur, l’heure est proche. »
Elle m’aida à revêtir mon armure. Elle s’agenouilla et me mit ma ceinture. Je la relevai. Elle alla chercher ma hache et me l’apporta avec un petit sourire.
« Cette arme paraît bien brutale.
– Est-ce l’arme qui est brutale ou le propriétaire qui en fait usage ?
– Ne jouez pas avec moi mon beau doux sire. Dans quelques temps, je vous confierai une arme noble et vous donnerai l’un des attributs de ma puissance… Avez-vous masqué les armoiries de votre écu ?
– conformément à vos ordres, gente demoiselle dis-je avec un soupçon d’ironie.
Eleonore ne sourit pas et martela :
Pour le moment, vous n’êtes pas digne de révéler au monde votre fonction et les attributs de ma puissance. Mais, et son visage, de même que tout son corps de femme s’adoucit d’une manière merveilleuse, elle me dit ces mots qui se gravèrent dans mon cœur :
« Même si nos chemins doivent se séparer le temps d’une vie, n’oubliez pas… je vous aime et vous accompagne de ma bénédiction. Maintenant il est temps d’aller voir mon père. »
Elle me prit par la main, et nous descendîmes de la tour blanche pour gagner le donjon, d’où règne pour les siècles des siècles des siècles, notre Père à tous.
Le sanctum céleste avait pris l’apparence d’une pièce de pierres froides. Au centre, Il trônait sur un fauteuil de pierres rehaussé par trois marches en pierre. J’avançai de trois pas et ma bien aimée s’écarta de moi. Comme le voulait la tradition, je mis un genou à terre et me relevai dans l’attente de la parole du Seigneur. Le silence dans ce lieu ne pouvait que s’éterniser. Finalement, Il dit :
« Alors, homme, es-tu prêt ?
– prêt je ne sais, mais le moment est venu d’agir »
Le Seigneur m’observait. Le sentiment que nous étions plus ou moins les jouets d’un jeu absurde dont on ne connaissait pas les règles, se faisait de plus en plus jour dans mon cœur. Et cela était visible pour la Pensée Divine. Un sourire erra sur le visage hiératique.
Elonore : le chevalier est fatigué, mon Père.
-Pourtant c’est son dernier combat… il parachèvera ce qu’il a initié. Homme, daignerais-tu ce dire qui te trouble ainsi ? Tu as le sentiment de vivre un rêve… mais ce rêve s’il est Mien ; il est aussi le tien. Lorsque Je dis : CE QUI DEVRA ETRE SERA. Ceci ne veut pas dire qu’il n’y ait pas d’efforts à consentir. Ce rêve merveilleux ne sera possible que par l’application juste de ta volonté et l’amour de ta Dame. »
Je le regardais sans ciller. L’inconcevable de son regard ne m’atteignit pas, ou plus exactement, il me traversait sans rencontrer la moindre résistance. J’avais le sentiment de son absolue plénitude et de ma totale incomplétude. Il est le Plein et je suis le creux.
« Tes yeux ne sont pas brisés, en cela, tu es unique. »
Je détournai le regard et contemplai Eléonore. Elle m’ouvrit son esprit, et je rencontrai son âme. Et je vis l’infini Céleste avec toutes ses étoiles, comme autant de consciences illuminées. Et la lumière céleste Amour rassasiait ma conscience troublée. Et je me dis : Qui suis-je donc pour pouvoir juger ? Le devoir que je m’imposais, n’était-il pas au contraire, le plus fidèle reflet de l’amour que je me sentais capable d’exprimer ?
Je sentais le poids de la hache sur ma hanche qui me poussait vers la terre, vers la dernière Lutte.
– Homme, tu auras besoin de l’aide de mon Fils très Aimant… Il commence déjà à répandre ma lumière et à répondre aux consciences assoiffées. Maintenant, va et sois digne de ton amour et de ton désir, aussi fragile et humain, soit-il.
– Qu’il en soit ainsi ! »
Eléonore et moi sortîmes du lieu divin et gagnâmes le cloître suspendu. En parcourant les fines arcades de pierre, nous entrapercevions la fontaine de Vie qui reposait sous un palmier. Elle m’entraîna vers la fontaine, et prit la coupe en argent qui était sur le rebord.
« Agenouille-toi mon bien aimé. »
Elle remplit la coupe d’eau et baigna ma tête inclinée. La joie parut dans mon cœur, dans la certitude que Cela était bon.
Puis, elle me releva. Elle remplit la coupe à nouveau et me dit de boire la moitié. Je lui rendis la coupe. Ses lèvres fines épousèrent l’endroit où j’avais bu, et je vis l’eau descendre dans sa gorge. Sa poitrine se soulever d’une nouvelle allégresse. Je levai les yeux au ciel. Une immense rose rouge s’épanouir dans le crépuscule naissant entre le soleil d’or et la lune d’argent. Je fus certain, devrais-je l’oublier dans la nuit des temps, que mon vœu profond était exaucé.
Elle cueillit une rose qu’elle embrassa. Je posai ma main sur sa main et lui pris la rose, que j’effleurai de mes lèvres. Aussitôt elle se transforma en colombe et disparut à mes yeux. Je hurle :
« O ma rose, ô mon âme, pourquoi m’as-tu quitté ?! »
le Père m’apparut et me dit :
« Homme, avant de célébrer les noces, tu devras boire la coupe jusqu’à la lie. »
WHALHA LLHALA HALLALI !
II
Décidément je fais des rêves bizarres en ce moment… Il ouvre les yeux, et tâtonne sur la table de chevet à la recherche de pilules « sans soucis ». Il s’assied sur le bord du lit, et prend le verre d’eau. Trois pilules d’un coup me calmeront sûrement… Qu’est-ce qui m’arrive ? Toujours ces rêves et l’angoisse qui remonte… comme un rappel à l’ordre… trois pilules, le triple de la dose ordinaire dès le matin… et ce n’est que le début de journée. Mon Dieu… pourtant, j’ai tout pour être heureux… je viens de réaliser le holoscoop[1] le plus formidable du siècle, et aujourd’hui le 20 juillet 2007, c’est mon anniversaire… que m’arrive t’il ?
Il regarde au-dessous de lui. Grâce à l’aggravitation[2], que les hommes ont découvert récemment, il a choisi d’édifier une « pyramide des airs »qui « flotte » à 6 km d’altitude. Les parois de la pyramide sont faites de miroirs sans teint. Il regarde s’élever les fumées de la cité industrieuse. Comme si de ce cloaque, pouvait émerger la raison de son inquiétude.
Il enfile rapidement sa combinaison isothermique, et passe dans la cuisine. Il avale trois pilules nutritives et un jus d’orange. Il prend son écharpe blanche en laine (finalement, je suis peut-être un peu fétichiste) et son surf d’argent, qui le mènera au premier arrêt troll-air bus venu. Il y a quelques temps, ses roll-airs bleds étaient tombés en panne, et il a la flemme de les remplacer.
Après tout, circuler en troll-air a à ses yeux certains agréments non négligeables. Pourvu qu’elle soit là. Il entre dans le premier wagon venu. Miracle ! Elle est là ! Debout à côté des portes battantes…comme d’habitude la belle asiatique mystérieuse. Mon pauvre tu deviens vraiment gaga…
Une fois de plus, il se fait la réflexion que décidément, elle devait être chinoise, et qu’il serait curieux de connaître son prénom. Il faut dire que depuis que les hommes et les femmes étaient procréés in vitro et non in vivo, suivant les priorités économiques, les prénoms choisis par l’Ordinateur n’avaient plus grand chose à voir avec le type physico-caractériel des gens. Mais ceci mériterait une plus longue explication…
On dirait une vestale. Habillée très sobrement, anachroniquement… Elle porte un jupon sous sa jupe longue ! Distante… elle me regarde et comme chaque matin, nous nous regardons… elle doit penser : « quel drôle de zigoto avec son écharpe blanche et sa ceinture violette… » j’ai dû sourire bêtement dans le vide, elle détourne son visage et regarde par la fenêtre. Une vestale… elle doit avoir 22 ans à tout casser… quand je pense que j’en ai dix de plus qu’elle ! Mon petit père, c’est pas sérieux !
Le troll-air s’arrête devant le bâtiment du journal « le daily planet ». Il entre en coup de vent dans le hall du bâtiment massif style communisme ou capitalisme triomphant, même combat. Des collègues le congratulent, lui tapent dans le dos :
« Perce (diminutif de son prénom Perceval), cette fois-ci, tu rentres dans le panthéon des journalistes… T’as fait une perf ! Leurs acclamations sont sincères, et pourtant le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elles ne lui vont pas droit au cœur. Tout juste s’il ne se sent pas accablé ! Je suis un menteur, le plus grand des menteurs, celui qui sait qui sait qu’il ment.
En toute conscience, il sait d’où vient le succés, l’impact de ses holoscoop. Il est à l’écoute, à l’écoute des désirs des gens. Il ne fait son travail que dans la mesure où il est certain que ce qu’il dit est ce que les gens veulent bien entendre… surtout pas la vérité, le mensonge, voilà ce qu’ils veulent entendre… de l’émouvant, des chiffres, des analyses, des raisons, mais surtout pas les Causes.
« Donnez nous des raisons, mais surtout pas des Causes » voilà ce que crient les gens. Mais, un jour, ils auront beau se voiler la face, les pierres crieront.
Un propagateur de bruit, d’ignorance, voilà ce que je suis.
Il entre dans l’ascenseur, au milieu des collègues, qui le pressent, comme pour mieux s’assurer de la possible réalité du succés. Putain d’angoisse qui remonte. Discrétement, il avale une pilule. Bon sang, déjà quatre. Enfin, il sort de l’ascenseur. Il s’arrête devant la porte de son bureau préféré, qui n’est pas le sien mais celui de Pamela, ou plutôt Ludmila selon le vœu de sa charmante et ô combien charmeuse locataire. Il entre sans frapper. Ludmila, qui était en train de regarder en contrebas la bonne ville de Gotam, se retourne sachant déjà quel est l’intrus. Autant, la mystérieuse asiatique paraît pure et virginale, autant Ludmila est femme et fière de l’être. Vêtue très sexy et pourtant avec chien, d’une minijupe et d’un body très moulant, type léopard, sa tenue met en valeur son physique et son tempérament de slave… passionnée.
« Bon anniversaire René (selon son vœu de baptême), trente deux ans, donc 5, il serait temps de se réveiller !
– Toi et ta numérologie… »
Elle le laisse s’approcher d’elle, et ils s’embrassent langoureusement, tendrement. Amoureusement. Magique. On aimerait écrire avec le silence,… on emploie des mots. L’impression d’une trahison.
Un esprit commun s’était installée entre eux deux, depuis le jour du baptême.
Un soir que Perceval passait la soirée avec Pamela , dans son Isba en bois de sapin, au milieu de la forêt « Bonpain », elle lui avoua qu’elle détestait son prénom, qu’il ne lui allait pas du tout.
Il avait écouté sans mot dire. Ils venaient de terminer une promenade en forêt et avaient été surpris par l’orage. Le feu brûlait dans la cheminée. Il était torse nu et, Pamela, à ses pieds, avait retroussé sa longue robe et enlevé ses bas… Tout ça pour expliquer qu’il n’avait pas tout de suite réagi.
« Hum, c’est vrai que Pamela sonne un peu Américaine de base poupée carbone…
– Perce, pourquoi ne me baptiserais-tu pas ? »
Proposition qui semble absurde, mais venant de sa part et s’adressant à lui, cela paraissait dans la norme !
Et il avait agi, suivant son sens du Sacré. Il prit un vase et sortit dehors sous la pluie. Il resta debout à contempler les éclairs, au travers des branches de sapin. La pluie remplissait le vase. Sous le porche éclairé, elle l’attendait.
« Et comment voudrais-tu t’appeler ?
– Ludmila. Perce, je me sens russe ! »
Près de la cheminée, qui chauffait leur peau encore ruisselante, il officia :
« Agenouille-toi devant moi et baisse la tête. »
Il lui apposa les mains vigoureusement quelques secondes, le temps de bien inspirer, expirer, et lui versa sur la tête le contenu de la moitié du vase.
« Désormais, je t’appellerai Ludmila… ou Mila, parce que c’est plus court »
Note affectueuse qui détend l’atmosphère.
« Maintenant que tu es baptisée, tu vas pouvoir officier pour moi. »
La fraichement nommée Mila se redressa et le regarda avec surprise.
« Perceval, je trouve ça un peu trop long et dépassé. Par contre, j’ai fait un rêve où on m’appelait René. C’est simple et ça me convient. »
Il met un genou à terre. Mila lui verse sur la tête le reste du vase.
« Désormais, je t’appelllerai René. »
Après quoi, ils allèrent prendre des serviettes, et s’essuyèrent réciproquement. Sinon, ils auraient pris froid, ce qui eût été dommageable. Depuis ce jour, leur lien et leur comportement devinrent nettement plus profond, exclusif. Il est à souligner qu’ils n’avaient jamais fait l’amour ensemble.
Revenons à nos moutons, c’est à dire ce jeudi 20 juillet 2007.
« Tu es libre, ce soir ?
– Pour toi, toujours. »
Phrase qu’il accepte sans autre commentaire, car simple expression de la vérité.
– Ca te dirait d’aller danser au Metro ?
– Oui ça nous détendra »
Et elle se serre contre lui en enlaçant ses épaules
– Mon chevalier… »
La journée défile comme un éclair. Le soir, Mila paraît, sous son porche éclairé. Ensemble très court velouté rouge grenat. Elle monte sur son tandem des airs, et ils descendent vers un lieu très obscur, la boîte de nuit « le Métro ». Ils dansèrent toute la nuit. Se jouant de l’espace entre eux deux, de leur souffle, de leur chaleur, de leur joie. De leur regard.
L’aurore aux doigts de fée se lève. Ils rentrent dans son isba de sapin dans la forêt Bonpain…
Mais ceci est une autre histoire…
[1] A cette époque les articles de la presse sont désormais en trois dimensions, d’où le terme de de holo devant scoop.
[2] L’aggravitation est une technique récente qui permet à l’homme de se libérer des lois de la gravité. Utilisée dans le domaine de la construction mais aussi dans le transport (cf. roll-air bled et troll-air bus).